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7 février 2016 7 07 /02 /février /2016 14:58
Les ombres chinoises.   Pascal

sujet semaine 06/2016 - clic

 

Quand j’étais tout gamin, à la maison, c’est mon frère aîné qui officiait aux manettes des ombres chinoises. En plus des figurines qu’il animait contre le mur, il avait toujours des histoires abracadabrantes à nous raconter.

 

Les après-midis longuets de pluie, professionnel attentionné, il fermait les volets de sa chambre, il installait sa lampe de chevet au meilleur endroit et il nous plaçait derrière son lit, comme des spectateurs avertis, dans l’orchestre de son petit théâtre. Avec mes deux sœurs, on se chamaillait toujours pour avoir la meilleure place ; naturellement, de reptations en promesses de sagesse, on suivait la séance, tous assis sur son lit…

J’étais content qu’il soit mon frère parce que je profitais de toute son imagination ; elle transcendait la mienne avec d’immenses frissons de volupté enchanteresse. Il était intarissable, il débordait d’improvisation. A chaque instant, c’est comme s’il devinait ce qu’on voulait qu’il nous raconte...

 

Mon grand frère avait de la magie dans les mains ; je n’avais pas d’autre explication. Un chien apparaissait sur le mur ? Tout le monde aboyait ! Un oiseau ? On chantait à tue-tête ! Un lapin ? On mettait nos menottes sur les oreilles et on grignotait l’air avec nos dents de lait en avant ! Quand on ne devinait pas, il grognait et on reconnaissait tous le cochon ! Toute la pièce s’amplifiait de couinements amusés ! Avec mon frère, on n’était plus dans sa chambre mais dans une basse-cour enchantée, un zoo fantastique, une autre dimension faite de rêves, de peur, de croyances, de courage…

 

On n’avait pas encore la télé à cette époque et cela ne dérangeait personne. Au sein de notre famille, autour de la table de la salle à manger, on s’entendait parler, rire, chanter, murmurer. Du plus grand à la plus petite, de la récitation apprise au babillage, chacun avait son histoire à raconter avec son vocabulaire d’enfant. C’était le temps où les petites choses avaient de l’importance ; dixit maman, les lutins couraient dans les placards, les fées voletaient un peu partout, le petite souris nous surveillait et, l’hiver, le père Noël était dans toutes les discussions…  

 

Quand l’animal proposé posait une question à son assistance, inquiets mais volontaires, on levait le doigt pour lui répondre ! On voulait entrer dans le spectacle ! Il connaissait nos prénoms !  Il voulait nous apprendre des additions !...  

Même si je voyais mon frère parler dans la bouche de son ombre chinoise, je n’arrivais pas réellement à faire la relation ; mais comment pouvait-il savoir que l’oiseau allait se poser sur la branche de la commode ?... Que le chien allait aboyer dans l’oreille de ma petite soeur ?... Que la silhouette de ce visage allait nous parler gravement ?... C’était extraordinaire. Il savait à l’avance ce qu’allait dire son sujet…

 

Parfois, il posait son aigle sur notre tête ; on se baissait pour éviter ses serres ou, alors, téméraires, on essayait de l’attraper ! Tout comme le pompon du manège, il dansait dans toute la chambre ! Mon frère, il aurait pu être dompteur de rapaces tant il semblait à l’aise avec tous ses volatiles…

 

Il avait ses ombres dangereuses aussi ! C’était des têtes patibulaires, des dragons, des sorcières, qui grossissaient ou rétrécissaient à l’envi de sa gestuelle devant la lampe !

Apeurés, attendant que l’orage passe, on se cachait sous le lit, dans les draps, derrière l’oreiller ! Quand il reprenait sa voix gentille de conteur, on savait que l’arc-en-ciel se redessinait sur le mur. Au gré de sa fantaisie, mon frère nous baladait dans les champs de son imagination débordante ; en y repensant, il aurait pu nous faire des ombres chinoises en couleur mais il ne voulait pas trop nous impressionner…

 

Comment, avec ses seuls mains, pouvait-il apprivoiser si facilement tous ces animaux ?... C’était un grand mystère. Bien sûr, on essayait nous aussi de faire surgir des bestioles sur le mur ! Avec nos « Moi aussi ! Moi aussi ! », on était des ombres dissidentes ! Intermittents exaltés de son spectacle, on perturbait souvent sa représentation ! Quand je m’essayais à ces mimiques, je m’emmêlais les doigts, je nouais mes coudes, je me tordais les épaules aux grands rires de mes sœurs et au grand dam de mon frère. Alors, j’aboyais, je grognais, je sifflais, pour aider à leur compréhension, toutes mes contorsions de novice…

 

Souvent, à la fin de son exhibition, excités comme des puces, c’était le chahut général, la danse de Saint Guy sur le lit, le bouquet final. Quand on criait trop fort, quand on applaudissait à tout rompre ou quand on tapait des pieds sur le plancher, on entendait comme un long grondement monter d’en bas. C’était mon père qui râlait à cause de notre brouhaha…  

 

Enfin, quand on nous appelait pour aller à table ou parce que c’était l’heure de se coucher, un moment, je caressais le mur pour tenter de comprendre où se cachaient tous les animaux de mon grand frère…

 

 

Pascal. 

commentaires

M
Un bien gentil grand frère :)
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C
Une famille où l'aîné joue vraiment un rôle!<br /> Une histoire familiale bien contée, avec des mots simples qui se nourrissent de la réalité et du rêve, <br /> Une faune au milieu de laquelle la frateie se perd pour son plus grand plaisir.<br /> C'est un florilège de beaux souvenirs!
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B
C'est tellement bien écrit qu'on y croit ! elle est vraie cette histoire Pascal ?
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P
Toutes mes histoires sont vraies... ;)
A
Quel plaisir pour un enfant d'avoir un grand frère magicien dans les ombres chinoises, il y a de quoi alimenter toute une imagination
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J
Voilà un grand frère qui savait jouer de ses mains, un bricoleur des ombres chinoises, bravo !
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