Dans l’Enchanteur Journal, entre la pub d’un réparateur de baguettes magiques et une interview de Harry Potter, c’est la fée Divers qui relata longuement cette très étrange malédiction. En caractères gras, pour les uns, à l’encre sympathique, pour les autres, il était mentionné qu’un mauvais sort de poudre d’airain avait statufié des fées dans la forêt de Trentham.
Sur une photo, on voyait la fée Lation clouée, tout embastillée, dans du fil de fer galvanisé ; la bouche ouverte, dans son dernier souffle, elle semblait gober l’air du temps. Sur une autre, la fée Minité paraissait heureuse, avec cette paire de bas résilles tressée à la perfection sur sa peau ; elle en était même satisfaite tant elle tendait la jambe pendant cette résignation séduisante. C’était bien la seule fée enchantée par ce maléfice sauf peut-être, la fée Néante aussi, figée en fer blanc, dont on ne voyait pas la différence avec avant.
Sur une autre image, ici, c’était la fée Rugineuse, les cheveux en pluie pétrifiée, emprisonnée dans une toile d’acier inoxydable et s’accrochant encore à la tige de sa dent-de-lion, comme on tient la laisse d’un chien tirant trop fort. Là, la fée Libre était étroitement captive et pendant cette posture avilissante, on voyait comme des menottes attachées à ses poignets ; avec sa baguette, la fée Tout, cristallisée, touillait l’air du temps pendant une recette muette…
Tout y était relaté. La fée Egeste étudia les moindres mouvements de la Forêt. On fit des enquêtes, on envoya quelques mages, ceux en troisième année de la faculté de Ceylan, on interrogea les roseaux penseurs, on scia quelques chênes à l’ombre médisante, (ils racontaient des bateaux). On interpella, on tança, on mit à genoux tous les hiboux, les cailloux, les choux, les poux de cor (les musiciens) de la campagne, avec leurs terminaisons bizarres en x, tous leurs pluriels bien singuliers (les joujoux vinrent au moment de Noël).
A toutes ces pauvres « fildeferisées », on fit boire des décoctions de cornes d’escargots, des potions à base de bave de crapauds, des tisanes de fleurs de coquelicots, des eaux d’oasis, des eaux de Vincennes. On fit macérer des racines de nénuphars à feuilles caduques, des ongles de doigts de pied de vipère, de la salive de commère, (très répandue encore de nos jours), des trèfles à quatre feuilles de soin, (ceux qui poussent chez le toubib).
On leur fit goûter des fricassées de cuisses de hannetons unijambistes, des ragoûts de palmes de grenouilles naines, des truffes d’araignée du soir, des yeux de vers luisants, de la soupe de lucioles aux herbes de province.
Rescapée, la fée Cale fit respirer à sa sœur, la fée Tide, des odeurs de mouflette en colère, des pets de nonnes à leur retour du banquet annuel de Castelnaudary, les chaussettes de l’archiduchesse, les pets de la dame au clebs, le calebar de Leonardo Dicaprio, celui du film Titanic, quand il voit l’iceberg : pas même le moindre petit reniflement intéressé !...
La fée Romone leur montra un dentier du pape, une affiche de Bruno Castaldi, un film de Tarantino, une dédicace de Franck Ribéry, un sourire de Clooney, un vibromasseur à trois vitesses, et c’est à peine si la fée Lation souleva un cil !...
En stéréo, on leur fit écouter une chanson de Yannick Noah, un poème de Jean Claude Van Damme, une homélie de Don Camillo, un plaidoyer du Tribunal des Flagrants Délires, une tirade des Bronzés ! Rien n’Hi-Fi…
Les fées Mérides, toujours jeunes, en appelèrent à tous les seins (95,100, d, e, f, etc) ; les fées Joule voulurent apporter leur lumière et la fée Condation s’inquiétait des générations futures…
Bien sûr, quelques fées avaient survécu à l’holocauste de la pluie d’airain. On reconnut la fée Nertiti, la pire amie d’Egypte, la fée Maison qui voulait rentrer chez elle, la belle fée Ronière avec son camée sur le front, la fée Lipe Gonzalez et ses castagnettes d’apparat, la fée Rat, venue de sa lointaine Ardèche, là où la montagne est belle, et la fée Licy aussi. On retrouva la fée Dodo Colin mon petit frère encore endormie et la fée Rié réclamant dorénavant son jour de rtt (repos du temps de Trentham).
Chaque année, pendant leur pèlerinage, elles reviennent s’asseoir sur mon dos et ce sont des intenses conciliabules, des farouches prières de fée, tentant d’en découdre avec le maléfice encellulant leurs congénères. Finis la fête, les flonflons, les fanfreluches, les feux d’artifice, les folies de bergères ! Processionnaires, elles vont visiter chacune de leurs amies figées dans l’enfermement métallique.
Même les sangliers ont réinvesti les bois alentour. Fiers, ils défilent en flairant une à une les fées figées. On entend leurs grognements de plaisir quand ils viennent s’ébattre si près des magiciennes défaites.
Les siècles passèrent ; on fit des révolutions, des guillotines et des guerres. D’autres siècles passèrent, on fit des maisons, des routes et des jardins. Indémontables, internées dans leur envoûtement ancestral, on installa des stèles sous les fées fichues ; on peut même les visiter encore aujourd’hui.
Une légende tenace dit qu’au premier akène au sol, il poussera des dents-de-lion par millions, la prairie sera jaune, comme une mine d’or à ciel ouvert, et toutes les fées, désenclavées du maléfice, s’envoleront en échange heureux. Une autre raconte que seul, un bel aimant, pendant un véritable baiser d’attraction, pourra les délivrer du sortilège entortillant. A sa libération, peut-être que la fée Bricule aura quelque pitié de son banc.
En attendant, je profite des fesses des promeneuses fatiguées ; à leurs proses, je raconte la mienne avec des caresses d’ombres amicales et des gentils petits grattements de pierre polie…
Pascal