Si le sujet implicite de cette photo est ce couple, encore ignorant l’un de l’autre, ce duo d’homo itinéris, plus interpellés par leur portable que par le paysage environnant, on peut presque leur pardonner tant cette ambiance, bigarrée et sale, est sujette à mille réflexions contradictoires. A croire que le virtuel de leur fond d’écran est plus beau que cette réalité de trottoir…
Les rues de Paris, c’est merde de chien et compagnie ; c’est klaxon impétueux à tous les feux ; c’est foule grouillante des grands boulevards jusqu’aux ruelles complaisantes ; c’est naturellement vie souterraine aux noms de stations souveraines ; c’est remugles de caniveaux aux tièdes baisers de bouches d’égout en troupeau ; c’est Tour Eiffel infernale et sa hauteur de carte postale ; c’est Flamme du Soldat Inconnu, là, en haut de la rue ; c’est Seine et tous ses ponts, de l’Alma, de Rouelle, de Grenelle, jusqu'au pont d’Iéna ; c’est tout ça, etc…
Oui, ils peuvent se rencontrer, ces deux-là. Au hasard d’un rendez-vous de site de confluence, celui aux desseins rassembleurs où, perdus, dans la lecture de leur portable, ils doivent se heurter et lier connaissance en riant, le long de ce trottoir nauséabond. Ils vont se regarder, au moins une fois, pour allumer la mèche de leur Providence…
Mais c’est écrit partout !... Les horoscopes sont certains, les diseuses de lignes de la main sont unanimes, les astres s’accordent tous à la même rime !... Ils doivent s’accoster, là, à la croisée de ces chemins !...
Lanterne, escaliers, trottoir, douze heures vingt-deux, soleil pile entre les cheminées du 2 de la Rue Drevet et de l’antenne de télé de l’Hôtel des Tudor : tout est en place. La Magie du Spectacle peut commencer…
Oui, il est là. Par je ne sais quel prestige, il est présent. A son insu, toute sa vie l’a porté à cet endroit précis ; il a marché, mû par un indicible instinct, en dehors de ses habitudes de titi parisien. Du pont des Arts au pont Mirabeau, il a pris l’air en passant devant le Moulin Rouge. Il est aux aguets, il ne sait pas ce qu’il attend, il n’a pas encore de priorité évidente à l’organisation de son existence ; il est seulement présent à cette échéance, le cœur ouvert à l’inconnu, comme seule obligation… Il bidouille son portable pour se donner l’importance d’une contenance…
Oui, elle est là. Une force supérieure l’a embarquée en ce lieu. La bouche du Métropolitain l’a vomie dans ce coin défini. Intimidée par l’endroit, par toutes ces déjections picturales, par des sensations contradictoires qui naissent en frissons étranges sur ses bras, elle patiente sans bien savoir ce qu’elle languit ; ces odeurs qu’elle respire ne sont pas encore des parfums enivrants, ces affiches qu’elle regarde ne sont pas encore des paysages exaltants, les couleurs alentour ne sont pas encore des explosions de lumières aveuglantes… Elle relit ses textos pour occuper les secondes…
Il faut les aider !... Mais qu’on leur envoie le Zouave, Quasimodo, les Pompiers, Gustave, le Soldat Inconnu, un impressionniste reconnu, pour badigeonner leurs émois !... Mais depuis la nuit des temps, ils s’attendent, ces deux-là !... Ne les faisons pas languir !... Faudra t-il qu’il glisse sur une merde de chien, qu’elle laisse tomber son téléphone, pour qu’ils aillent au secours l’un de l’autre ?...
La Nature est bien faite… A cette seconde, la foule excursionniste s’est évaporée, ils sont seuls au Monde. Les idylles naissantes sont fragiles comme la chrysalide des papillons ; une nouvelle Vie commence…
Par le jeu de la séduction immuable, ils s’ignorent pour mieux se regarder. Il sait déjà tout de la blancheur de ses bras nus, de ses cheveux collés dans son cou, de son jean moulant ; elle sait tout de sa fausse désinvolture, de sa mèche un peu rebelle, de l’emprise de son ombre fragile sur ce trottoir. Son cœur s’est accéléré bizarrement ; pas comme après une escalade d’excursion, une angoisse de film ou une course à pied, non, bizarrement, d’une chamade incontrôlable, très agréable… Lui, il joue le lointain, le fier à bras, le blasé séducteur, mais quelque chose en lui échappe à son contrôle… De par une attirance universelle, animale, il respire ces effluves timides mais capiteux qui courent à côté de lui. Il apprend à soupirer… Même si, sur la pointe des pieds, on peut entrevoir la Tour Eiffel, il perd le Nord…
C’est le moment intense où toutes les couleurs vont embraser leurs regards comme des intrépides volcans en éruption, des arcs-en-ciel incroyables, des feux d’artifices mirobolants, où les parfums du Monde vont les éclabousser en tumultueuses inondations olfactives, le bruit des bêtes voitures, leurs klaxons de franche mixture seront l’apothéose de leur concert d’Aventure ; c’est le moment où tous leurs sens en ébullition vont s’accorder à la même Harmonie ; pour mieux se voir, ils vont devenir aveugles… Alors, ils vont naturellement se découvrir des jeunes étoiles dans leurs yeux, bien plus que dans le firmament, ces presque amoureux… Tous les bancs seront accueillants, les frondaisons vont les applaudir ; vivantes, les statues des squares vont encore s’émouvoir de leurs mots doux, remplis d’espoir…
L’avisé Cupidon vise. Sa flèche aiguisée va transpercer ces deux cœurs attisés… Le cri des fleurs, la couleur des parfums, le murmure des frissons, la chaleur des mots, la brutale douceur, la sombre clarté, la douce amertume, la splendeur invisible… Tout ça, c’est le Poison de la pointe du silex et c’est dans son carquois… Le tir est précis, le souffle de l’aile d’un ange les a caressés : ils se regardent, ils s’admirent, ils s’attirent… C’est écrit, partout, les horoscopes sont certains, les diseuses de lignes de la main sont unanimes… Ha, ce… sacré cœur…
Pascal.
- Non Julie, je ne sais pas où tu l'as mis.
- Mais t'es où, bon sang ! Rappelle !
- C'est toi qui es bordélique, chérie, j'y peux rien !
- Allez, allez, réponds !
Allons donc, un décor pareil, c'est forcément du cinoche ! Voyez tous les fantômes sur les escaliers de la butte, si durs aux miséreux. Trois d'entre eux sont assis sur les marches…
Moteur ! quart de tour à droite, sur une musique de Michel Legrand :
- Bonjour Made-moiselle, vous semblez bien soucieuse
Est-ce votre fiancé qui vous rend malheureuse ?
- Ah monsieur, ce crétin a coupé son portable
Alors que justement je suis dans la détresse.
- Dites-moi, je vous prie, si je peux vous aider ?
Je m'appelle Léo, suis votre serviteur…
- Et moi je suis Léa, c'est amusant ma foi.
On vient de me voler sac, argent, et papi-ers
Me voilà dépouillée, ne sais comment rentrer.
Mon mari ne répond pas, il est je ne sais où !
- Belle Léa, ma vespa est là, montez en croupe,
Chevauchons jusqu'à votre château, mais avant ça
Faisons donc un détour pour prendre un petit café.
Et plus si affinités.
Las, hélas, Léo ne voit pas Léa qui ne voit pas Léo.
Les trois fantômes (Marcel, Aristide et Georges) sont dépités.
Marcel1
En haut de la rue St-Vincent
Un poète et une inconnue
S'aimèrent l'espace d'un instant
Mais il ne l'a jamais revue...
Aristide2
On l'appelait rose, elle était belle,
À sentait bon la fleur nouvelle,
Rue Saint-Vincent...
Georges3
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais…
___________________
1.La Complainte de la Butte. Jean Renoir, Georges Van Parys
2.Rue Saint Vincent. Aristide Bruant
3.Les passantes. Antoine Pol, G Brassens
Emma
C'est vraiment sympa, de la part de Ravel, d'avoir écrit un concerto pour la main gauche, pour un pianiste autrichien qui avait perdu le bras droit à la guerre. Malheureusement, c'est le bras gauche qui me manque, à moi. Alors j'essaie quand même de le jouer. Impossible de retourner la main. J'essaie avec un seul doigt, comme là sur la photo avec le pouce. Ou bien je retourne la partition. Ou j'essaie de la jouer en commençant par la fin. Ça m'occupe. Mais j'entends bien que les voisins n'aiment pas trop.
Nounedeb
Z‘auront pas bientôt fini de me tripoter avec leurs sales mains, ces mômes ! Ca veut rien écouter ! Quand on leur dit qu’il faut se nettoyer les ongles avant de venir au cours. Rien à faire, z’ont pas l’temps, qu’ils disent. Quand je pense à autrefois et aux jolis doigts effilés de ces demoiselles de Pampelune, si élégantes dans leurs jupes à fleurs, leur taille fine et bien prise et leur chapeau enrubanné. Sans compter ce parfum subtil qui m’enveloppait la gamme et me rendait tellement marteau. A tel point que je m’emmêlais parfois les noires et les croches, et que j’savais plus si on était en majeur ou en mineur…
Mineure, qu’elle était la Suzanne, dommage, c’était la plus chouette des trois, avec son minois à la Renoir, et ses langueurs de petite fille chlorotique qui vous faisaient chavirer la table d’harmonie. Ah ! Quel plaisir de sentir ses doigts courir sur mon échine, et ses arpèges si subtils, et ses passages du pouce inégalés. J’en avais des frissons jusqu’au fond des pédales. Quand Monsieur Blounote battait la mesure et disait : de la douceur, mademoiselle, du sentiment, vous ne faites pas assez corps avec votre instrument. Ah ! Comme je vibrais, comme j’aurais voulu la prendre tout entière dans mes bras et l’enserrer dans mes cordes. Beau Danube bleu, tout bleu, tout bleu… Elle avait une voix d’ange, la Suzanne, et moi j’étais au paradis, et je faisais tous les efforts possibles, pour être en phase avec elle, un deux trois un deux trois…
Et puis un jour, il l’a chopée comme ça, devant moi, la Suzanne, en plein milieu du premier mouvement de la Sonate au clair de lune, au passage le plus langoureux : sol, sol sol… il lui a appliqué deux gros smacks sur la joue, sol… sol sol… elle essayait bien de continuer, de tenir la note, sol…sol sol…LA….puis il chercha sa bouche… sol… il l’a trouva sur le fa...si...Sur le mi le mal était fait. Du tabouret au canapé, il n’y avait qu’un pas, qui fut vite franchi. J’étais vert de jalousie, j’en aurais craché mon dentier, je tentai un dernier couac en brouillant bien les notes, mais Suzanne était habile, elle rétablit la situation et termina en beauté sur un dernier et aérien arpège. Cinq minutes plus tard, j’étais cocu, et trônais comme un con, inutile et seul au milieu de la pièce, muet et abandonné de tous.
Hélas, les soeurs Pampelune avaient cafté et dénoncé leur cadette, on je ne revis plus jamais Suzanne. Mais parfois je pense encore à elle, et je me la rejoue en secret, cette sacrée sonate, le soir, bien au calme dans la pièce, quand mon couvercle blanc laqué s’est refermé sur le dernier de ces petits monstres qui hantent à présent le salon. Et que toutes les lumières sont éteintes. Sol… sol sol…ou plutôt : seul… seul seul...Monsieur Blounote a pris sa retraite, c’est Madame Castafiori qui le remplace, m’est avis que je vais moins rire à présent…
Cloclo
Aligner les clefs de sol, jusqu’à en dessiner une correcte, vaut peut-être mieux que de rentrer pieds nus, à travers la ville.
Ma prof ne savait quoi inventer comme brimade.
Je m’étais retrouvée, par hasard devant ce piano. Ma mère, voulant à tout prix que j’apprenne à jouer de cet instrument.
Un jour j’accompagnais une copine à sa leçon. Je restais.
Ma mère qui me cherchait, finit par savoir où me trouver. Profitant de cette opportunité, elle m’inscrivit à ce cours.
Je me mordis les doigts d’avoir voulu rester avec ma copine. Nous nous étions bien amusées toute la journée. Mais là, ça finissait mal.
Ma mère satisfaite de sa décision ; moi regrettant en silence…
Et je regrettais, regretterais de plus en plus. J’allais à reculons aux séances hebdomadaires, pas du tout préparée. Nous n’avions pas de piano à la maison. Nous n’écoutions jamais de musique. Juste les infos et hop, on éteignait la radio.
Je progressais à l’allure d’une tortue ; et encore, elle serait allée sûrement plus vite que moi.
La grande récompense était de commencer à jouer avec La Méthode Rose.
Mes parents, en plus, l’avaient déjà achetée. Elle me narguait. Toutes les lettres me regardaient en rigolant, surtout le R qui affichait un air méprisant. Le M à la rigueur m’aurait regardée avec condescendance.
Et puis, il y avait les doigts, j’y arrivais pas ; la position assise bien droite, passe encore…
Le métronome me plaisait bien ; j’aurais pu passer des heures à le contempler; j’aimais modifier les rythmes, faire glisser le curseur de haut en bas, de bas en haut : Tic – Tac – Tic – Tac, Tictactictactictac ; je m’amusais comme je pouvais…un jour, elle me surprit à ce petit jeu ; je crus qu’elle allait me refermer le couvercle sur les doigts. Mais non, elle arrêta son geste.
Toute la semaine, je pensais à ça.
J’arrivais en avance à l’heure du cours. Je l’entendis jouer. C’était beau, mais je ne m’en rendais pas compte. J’entrais silencieusement dans la salle. Elle jouait, faisant comme si je n’étais pas là. J’approchais du piano ; timidement j’y posais un coude. Elle me vit, me hurla dessus ; j’eus un sursaut, mon coude heurta le couvercle. Le couvercle retomba. Elle avait encore une main sur le clavier…
Je disparus illico presto, abandonnant derrière moi La Méthode Rose, les cahiers remplis de clefs de sol…
Jaclyn O’ Léum
L'année dernière, j'avais commandé pour Noël un piano à queue que j'avais repéré sur le catalogue du Centre Pompidou. Un Dali, qui est une marque réputée. La particularité qui m'avait séduit est que le clavier s'orne de visages de Lénine entourés d'auréoles phosphorescentes les faisant apparaître comme des ampoules incandescentes, et j'avais pensé que cela remplacerait avantageusement l'éclairage dispensé par les fenêtres illuminées de la gare et des chalets montagnards de mon circuit de chemin de fer. Et puis j'ai passé l'âge des trains électriques. En rédigeant ma liste au père Noël, j'avais suggéré à mes parents qu'il était sans doute possible, s'ils s'y prenaient à l'avance, de remplacer Lénine, un peu démodé, par le Che.
Mon désappointement fut grand le matin de Noël en découvrant au pied du sapin un banal Steinway au lieu du Dali que j'attendais. Réalisant ma déception, ma mère s'enfuit du salon, et par la porte entrebâillée je la vis pleurer la tête entre ses mains. Je me désintéressai vite de ce piano si ordinaire. Non pas qu'il ne me servît à rien, car j'y disposai ma collection de fourmis qui s'occupent à déchiffrer la partition, tandis que des cerises babillent gaiement sur un linge étendu sur la chaise du pianiste. Et quand je me serai lassé des fourmis et que j'aurai fini de manger les cerises, il me sera fort utile pour mettre en valeur un bouquet de fleurs artificielles piqué dans un vase sur un napperon, ce sera joli, certes, mais j'aurais préféré que les visages de Lénine ou du Che brillent dans ma chambre le soir quand je m'endors.
J'espère que mes parents seront plus diligents cette année. Je leur ai en effet à nouveau demandé un piano, car j'adore la musique. Je me suis aussi mis sérieusement à l'alcool depuis le dernier Noël, et le piano que j'ai découvert au hasard de l'écume des jours répond bien à mes deux passions. C'est un Vian, une excellente marque. On appelle ça un pianococktail, car cela permet de préparer des apéritifs maison. A chaque note correspond un alcool, une liqueur ou un aromate. Les pédales donnent de la glace et de l'œuf battu, un trille aigu fournit l'eau de Seltz et le sol grave la crème fraîche, Je trouve que c'est de mon âge.
Ou sinon un train électrique, bien sûr, mais j'en ai déjà tellement.
Bricabrac
- Et ces bleus sur tes bras, comment est-ce arrivé Max ? Tu permets que je t’appelle Max comme le font tes copains ? Tu peux tout me dire, tu sais ? Tu n’as pas à avoir de crainte, je suis là pour t’aider.
M’aider, tu parles ! Qu’est-ce qu’elle croit cette infirmière ? Je suis assez grand pour me débrouiller tout seul
- J’ai une idée ! Si tu faisais un dessin, ça te plairait de faire un dessin ? Regarde dans cette boîte, tu y trouveras des feutres de toutes les couleurs et voilà un bloc de papier. Je te laisse seul un moment, profites-en pour dessiner ce qui te passe par la tête. Ensuite, si tu le veux, nous discuterons.
Ho là ! Elle veut me piéger cette dame. Je ne suis plus un petit môme, moi. Et puis dessiner quoi ?
Faudrait pas qu’il tarde Schmock. Oui, je sais, j’exagère un brin, j’ai toujours besoin de lui… surtout ces derniers temps
- Schmock ??? Schmock ???
D’habitude, il apparaît au premier appel mais ici je ne peux pas crier trop fort, même pas dans ma tête. L’infirmière n’est pas loin, elle m’observe sans en avoir l’air. C’est énervant, j’ai la désagréable impression qu’elle peut voir en moi.
J’ai envie de retourner en classe, c’est justement l’heure de math. J’adore ça les math même que Monsieur Bruno prépare des exercices uniquement pour moi ce qui fait ricaner mes copains. Marre de leurs "chouchou ! chouchou ! "
- Schmock ???
Pfft ! Où il traîne ? Il était plus rapide avant, comme la première fois où je l’ai rencontré. Je m’en souviens, c’était pendant une leçon de piano. Je n’aime pas le piano ! Moi, je rêve de jouer de la guitare comme Yannick, le copain de papa. Maman ne veut pas en entendre parler, elle dit d’un air pincé que le piano c’est plus Pres -Ti – Gi- Eux. Des gammes et encore des gammes, on voit bien que ce n’est pas elle qui s’y colle.
Ce jour là, le métronome m’énervait, m’énervait et tout bas, je disais "schmock, schmock" à chaque battement comme pour me venger de ne pas pouvoir le jeter à la tête de madame Harold, la prof.
Au dixième "schmock " j’ai aperçu un autre moi-même assis à ma place sur le tabouret. C’était étrange, j’étais libre d’entrer, de sortir, de jouer à la play-station et mon autre moi, lui, jouait du piano. Bien d’ailleurs, très bien. Si bien que madame Harold avait l’air étonné et qu’elle a dit : "Bravo, Maximilien, tu as fait d’énormes progrès"
Depuis ce jour, Schmock est devenu mon plus fidèle ami. Quelle que soit la situation, il est toujours d’accord pour me remplacer quand je l’appelle.
Déjà un quart d’heure de passé et il n’apparaît pas. Il est peut-être fâché ou bien il en a assez de vivre ma vie. Sûr, c’est pas le pied !
- Schmock ???
Je t’en prie, sors-moi d’ici. Je déteste cette salle, je m’y sens prisonnier et ces feutres me brûlent les doigts. D’accord, tu en as marre de prendre les coups à ma place… je ne t’en veux pas, tu sais ? Quand mes parents se disputent, c’est toujours maman la perdante et je la protège…enfin, tu la protèges en t’interposant.
- Quoi ? Ce n’est plus possible ? Comment ? Tu ne veux plus m’aider ? Schmock, ne me laisse pas tomber, sans toi jamais je ne résisterai. Tu me vois, tout seul face à eux ? Et puis, s’ils sont mécontents c’est sûrement de ma faute ! "Maximilien ceci, Maximilien cela" ils ne sont jamais d’accord sur la façon de m’élever et j’en ai assez d’être un jouet entre leurs mains.
- Non, Schmock, ne pleure pas. Tu as sans doute raison, je vais dessiner !
Mony
Elle écarquille, incrédule, ses yeux devant la vitrine.
Sur le côté, en retrait, une épinette* sans doute hors d'âge, hors de prix, probablement désaccordée, mais tellement gracieuse sur ses pieds galbés trop chétifs et ses semis de fleurs peintes sur la laque crème craquelée.
Et au milieu de cette joyeuse pagaille savamment organisée, il est là, trônant tel un trophée ! Avec une étiquette « Réservé ».
Une moue de dépit !
Le maître des lieux est occupé avec un familier, un vieillard aux blancs cheveux et aux doigts de pianiste.
Elle reste un moment dans le rai de lumière. Un hum ! Leurs regards l'évaluent.
Pas le vêtement d'un acheteur potentiel ! Tout est rare ici. D'exception, onéreux.
- Vous souhaitez voir quelque chose en particulier ?
- Oui, ce coffret beige ...
- Il est réservé, Madame,
- J'ai vu le carton mais cet objet m'est familier. Je voudrais juste le toucher !
- c'est que ... il est en excellent état et le contenu en est fragile.
Le vieux monsieur invite son ami à le lui montrer.
Elle caresse délicatement le grain toilé du couvercle entre beige et gris.
Les pochettes de papier sont jaunies, elle commence à faire glisser ...
- d'un geste, il l'interrompt : c'est fragile, je vous ai dit.
-oui, mais pas en parfait état, le quatrième ou le cinquième était rayé, ...
- Ce doit être le quatrième, tenez, regardez là cette strie, l'aiguille sautait toujours à cet endroit dès l'origine !
Les deux compères se regardent de connivence.
- Aucun doute, vous êtes la personne que nous attendions.
- Mais ...
- Mon ami en est le vendeur, mais il y a mis une condition ...
- C'est possible, cela ?
L'homme aux mains de pianiste a dit doucement, oui, les objets ont une âme vous savez. Celui-ci vous a appartenu et il vous revient.
Il a délicatement refermé le coffret.
- Prenez, je vous dis, ce carton était mis pour vous.
Jeanne Fadosi