Je ne pourrai pas à moi seul briser ce mur de silence. Si Dieu m’a donné d’aussi petits poings, si peu de vigueur
physique pour combattre seul les forces du mal, c’est peut-être pour que je comprenne que sans l’aide et le soutien de quelques autres, je ne pourrai jamais franchir la porte, ni savoir ce qui se
cache derrière ce putain de mur… Pas la peine de vouloir enfouir à six pieds du sol la dépouille de mes défuntes émotions, ou de mes espérances mortes, ni d’enterrer tout ce mal-être qui me
poursuit depuis que je suis en âge de penser et de réfléchir sur ma triste condition d’Homme. Je suis resté trop longtemps enfermé entre ces murs sans me douter que le remède pouvait venir
d’ailleurs que du tréfonds de moi. J’ai épuisé toutes mes ressources, mes mains, mes doigts, mes forces sont ensanglantées et je me retrouve exsangue, vidé de toutes mes sources de vie…
Je ne pourrai pas à moi seul briser cette chape qui m’étouffe et m’étrangle et me donne ce mal-être insoutenable qui
m’oblige à me cacher, à me terrer, à me rayer de la société qui m’a si cruellement rejeté, ou que je n’ai pas su, au bon moment, comprendre ni intégrer. J’ai peur… j’ai peur de me voir jugé,
moqué, désavoué, harcelé, incompris, rejeté… j’ai peur d’affronter chaque jour la dureté de cette vie impitoyable qui encense les riches, les beaux, les puissants, les nantis. Ecrase les faibles,
les petits, les va-nu-pieds, les sans-abris…Je ne suis qu’un ver de terre bien enfoncé dans sa nuit, et je crie au secours pour que quelqu’un, un jour, enfin, entende mes cris. Réponde à mon appel.
J’ai peur du soleil, j’ai peur de ce grand jour qui vous juge, vous jauge, vous déshabille, met votre cœur à nu…Même
si je me suis habitué, depuis tant d’années à mon ombre, à ce fac-similé d’homme que je suis depuis toujours, pourtant, de tout mon être, j’aspire encore à la lumière, je veux croire encore un
peu à un monde plus pur, à un monde plus vrai, plus humain…
Je pourrai briser ces chaînes, me libérer de ces entraves, le jour où quelqu’un, peut-être le plus humble de tous les
humbles, viendra me tendre la main et me tirera de ce mauvais pas, celui que je réitère chaque jour, rivé à ma douleur, plaqué contre mon mal de vivre, le nez collé à ce mur inébranlable qui
suinte chaque jour davantage les miasmes de ma déchéance et les salpêtres de ma décomposition.
J’attends un homme, une femme qui ne me condamne pas, qui ne me domine pas, qui ne me conseille pas, qui ne me dirige
pas ni me dicte mes actes. Qui ne me parle jamais, de mon passé.
Et qui ne s’érige pas, surtout, à mon égard, en protecteur, et encore moins en sauveur ou en conquérant.
Quelqu’un qui vienne à moi en ami, en frère, en égal, en homme libre, tout simplement.
cloclo