L’atmosphère chaleureuse se décline lentement dans la tiédeur ambiante. Le ciel bleuissant fond doucement dans le creuset du clair-obscur envahissant. Tenaces, des lambeaux de lumière finissante s’accrochent entre les branches languissantes comme des lanternes festives à la mèche chevrotante. Un instant, découvertes, les toiles d’araignées cachées dans les frondaisons incendiaires apparaissent dans l’ordre du déclin solaire ; vêtue de halots fantomatiques, la poussière s’agite et, sur la cime des arbres, les derniers scintillements enguirlandés s’éteignent en entraînant tous les bleus du ciel dans l’indigo chimérique. Autour des nids, des jeunes moineaux désordonnés s’ébattent encore d’une vigueur empressée.
Des familles invitées, armées de leurs enfants et de leurs aïeux, arrivent en grappes moutonnières ; ce sont des gargarismes de retrouvailles, des bonjours, des cadeaux, des fleurs, des remerciements, des « fallait pas », des « installez-vous… ». Habillées en belles de nuit, mais attelées au bras de leur mari, les femmes se croisent en feignant d’ignorer leurs toilettes savamment ajustées. Pourtant, ce sont moult compliments hypocrites entre leurs lèvres pincées comme les plis de leur tailleur. Encore timides, les gamins se découvrent, se toisent, s’apprivoisent, et ils partent en exploration guerrière à la conquête du grand parc.
Avec ses premières gouttes de rosée nocturne, le soir s’immisce dans des groupes aux conversations importantes. Goguenard, il va de l’un à l’autre en soulevant des banalités ordinaires ; il a des questions sans importance et des réponses sans intérêt. L’alcool aidant, glaçons fondant, les vérités deviennent aussi faciles que flagrantes. Les démonstrations, aux déductions nébuleuses, apparaissent comme des sagacités évidentes et les conclusions véritables sont forcément bétonnées d’exemples irrévocables. Ici, on parle vélo. C’est la dernière étape du tour de France commentée avec force d’à propos. Il est question des petits français à la peine dans les ascensions verticales mais on reste optimistes quant au classement général. Là, on parle des vacances imminentes, comme si on allait reprendre Arcole, de ses jours de fête, des bouchons incontournables sur la sept, d’eau fraîche, de route brûlante et de la clim dans la bagnole. Mais on va retrouver la mer, la plage, les châteaux de sable et ce soleil si cher. Au sourire blanc d’un spot allumé et dans un journal de complaisance, une femme inquiète en quête d’avenir consulte l’horoscope et ses flagrances. Quelques hérétiques dispensent leur bonne parole tandis que des politiques déclament leurs sempiternelles paraboles. Sur les genoux, au bout de leurs prières, ils s’acharnent, ces colporteurs, en s’octroyant des certitudes de reproducteurs, tellement certains de leur semence de sermonneurs. Forcément, ils parlent des élections à cause des impôts toujours en pleine inflation, du prix de l’essence abusif et de ces emplacements de camping aux tarifs prohibitifs. Certains se taisent, comme des bémols modérateurs, des soupirs tempérant l’ardeur spéculative de l’orateur. D’autres acquiescent bêtement en gesticulant leurs déclinaisons tempétueuses au tempo d’autres vérités tapageuses. Les athées se tâtent en tétant leurs tétines de Tequila mais la sueur intègre traverse leur chemise, s’imprime et s’auréole insidieusement en de vagues pourparlers intimes. Entre eux, les vieux sages tremblants palabrent autour d’un tuyau d’arrosage en cherchant l’aboutissant de son usage. Confident de tous ces vivants infatués, tellement bruyants de toutes leurs évidences rassurantes, matérialistes, et surtout alcoolisées, le soir vadrouille dans leur âme, sans but, sans réelle évidence, tel un éternel pourvoyeur de mirage.
La troupe de gamins gambade gaillardement dans le parc en multipliant les bêtises. Dans des bassines, ils ont noyé leurs poupées, dans le bac à sable, ils ont rempli leurs souliers, dans la voiture des vacances, en riant, ils se sont entassés. C’est comme une volée de jeunes moineaux, s’abattant subitement d’un jeu à un autre, avec des cris stridents, des exclamations de joie, des réticences jalouses, des blessures imaginaires ; ensemble, ils crient des victoires éphémères et pleurent des défaites auprès de leur mère.
Fidèles incarnations, muettes de leurs obscures incantations, au pied du mur ou assises, les femmes soumises sourient doucement des éclats ensoleillés de leur homme comme des ménagères économes. Quelques oiseaux retardataires rejoignent leur nid en ébouriffant les toiles d’araignées endormies.
La chaleur de la journée s’enlace à la fraîcheur du soir et naissent des petits coups de vent aux parfums capiteux d’humidité encore tièdes. Les feuilles des branches alentour frissonnent un instant comme si on avait soufflé sous la robe de leur arbre. D’un rosier, pourtant exsangue tout à l’heure, s’échappent des effluves miellés aux partitions olfactives enchanteresses. Un bosquet d’épineux, taillé dans l’ordre rigoureux de l’allée, embaume son aura ombreuse de mille petites excitations doucereuses. Si on pouvait mettre des couleurs aux parfums, le parc entier serait une œuvre expressionniste, une fantasia délirante aux sensationnels décors changeants, une palette inestimable de badigeons extraordinaires, lancée devant les yeux des réceptionnaires. Si on pouvait mettre de la musique aux parfums, le parc entier serait une symphonie fantastique, une apothéose de clique aux brillances aveuglantes, un bouquet final d’orchestre harmonisé à l’ultime note de l’Unisson. Les essences des arbres se mélangent dans l’intimité de la pénombre et le tableau champêtre réorganise ses couleurs, ajuste ses gammes avec les soupirs incessants du soir comme seul diapason halluciné.
A cette heure de maquillage substantiel, les parfums des femmes, accrochés à leur cou, semblent bien fades, bien tristes et bien dérisoires. Fatigués, les gamins s’accrochent à leurs robes fendues ; remplis de caprices, ils veulent boire dans les verres défendus et les mères, remplies de sacrifice, cherchent sur les tables des jus de fruits bienvenus.
Au bout de leurs sérénades, les hommes refont la Terre et ses environs. Ils ont les prétentions de leurs Dieux et des jurons de démons. Encore fringants et fiers, une sueur d’effort perle à leurs paupières ; elle est comme la pluie de leurs doutes, celle revenante tout au long de leurs jeux de joute. Les gamins, ivres d’école buissonnière, se sont endormis dans les jupes fanées de leur mère. Au fond des nids, les oiseaux partagent des rêves engourdis.
Tout là-haut la nuit, ivre de liqueur d’aiguail, s’est éclaboussée de danseuses brasillantes. S’ils levaient les yeux, tous ces hôtes inattentifs des Choses célestes, ils pourraient apercevoir le tintamarre des brillances subreptices, les constellations en ordre d’artifice et quelques étoiles filantes novices…
Pascal