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Assise dans mon canapé à m’empiffrer des derniers brownies d’un paquet fraichement acheté, je regardais un vieux film en noir et blanc. J’en étais au passage classique du tourne disque que l’on met en marche, du vieux père qui danse avec sa fille le soir de son mariage.
Pitié, vite un autre truc gras à me mettre sous la dent. Allez savoir pourquoi on regarde toujours des films qui sont à l’opposé exacte de notre situation personnelle… J’entendais presque la voix de ma sœur, elle qui aimait répéter sans cesse, sur un air théâtral « Fais pas tant de drame tu veux ?! ».
Je restais pourtant émue devant cette scène, me demandant combien de temps encore j’allais attendre qu’un scénario ridicule de film me faisant trouver l’amour en quelques jours me tombe sur la tronche alors que je restais là, chez moi, recluse, en train de me goinfrer dans mon fichu canapé ! Décidant qu’il était temps d’interrompre cette introspection douloureuse et ce suicide culinaire par la même occasion, j’attrapais la télécommande et éteignais l’écran. Dormir, oui voilà, dormir c’est bien, c’est calme, c’est paisible, c’est… ne plus trop penser.
Cela faisait maintenant deux bonnes heures que je fixais mon plafond, le moelleux du matelas et la chaleur de la couette n’y faisant rien : impossible de dormir, la poisse ! Je frottais le médaillon que je portais au cou, un présent de ma grand-mère dont je ne me séparais jamais. Elle aurait tellement voulu me voir heureuse, amoureuse même. Que de déception pour la famille entière à bien y réfléchir, à commencer par ma mère. Et comment lui en vouloir ? Avoir une fille handicapée sentimentalement parlant c’est pas l’idéal…
Une légère douleur me sortit de mes pensées, j’avais réussi à me piquer le pouce sur le médaillon. Une perle rouge sanguine commençait à pointer le bout de son nez et je restais un peu interdite, car même en étant également une personne très « gauche », le médaillon n’était qu’un ovale lisse et parfait.
Etouffant un fou rire, je me lançais à moi-même :
- Et c’est là qu’un vampire terriblement sexy surgit de nulle part, s’empare de mon corps et de mon cœur, ma vie se transforme et je vécus heureuse jusqu’à la fin de temps !
- Enfaite, les vampires c’est très surfait, et ce n’est plus du tout à la mode.
Un couinement m’échappa, bon d’accord, un hurlement à réveiller les morts, lorsque j’entendis une voix rauque répondre. En apercevant une silhouette sombre et imposante dans un coin de la chambre, je me carapatais, tentais une fuite plus sonore que réussie, m’empêtrais dans les draps et chutais gracieusement au pied du lit. Ce n’était pas le moment de ressembler à un gamin qui joue à la chenille avec un sac de couchage ! Mortifiée, j’étais déjà presque embaumée !
La silhouette s’avança lentement, toujours dans l’obscurité de la chambre. Mon cœur martelait mes tempes, ma poitrine, enfin il essayait de sortir de n’importe quel endroit de mon corps ! J’hurlais :
- Qui êtes-vous bordel ? Qu’est-ce que vous faites chez moi ?
Puis tempérais légèrement d’un chouinement digne d’un chat mouillé :
- Pitié ne me faites pas de mal, je… Vous pouvez prendre tout ce que vous voulez je ne dirais rien à personne, je…
L’inconnu s’était arrêté et n’esquissait aucun mouvement, une lueur étrange anima un regard que je n’aurais pas dû percevoir dans cette pénombre totale. Un bon fou rire me parvint depuis l’endroit où il était placé.
- Vous êtes quelque chose vous ! J’aurais dû filmer cette scène, enfin… Elle restera gravée dans ma mémoire pour longtemps, ha ha ha… Je ne suis pas venu voler si c’est la question, quoi qu’il y a bien quelque chose que je désire en effet…
- Alors prenez le et fichez le camp… S’il vous plaît… Je n’appellerai pas la police je vous promets de ne rien dire…
- Et si je vous dis que c’est vous que je veux ?
Silence de plomb. Boum. Boum. Boum boum boum boum… OK… Mon cœur était en train d’atteindre un rythme affolé et affolant, je pouvais déjà presque entendre mon bip final, vous savez, celui de l’appareil dans les séries médicales qui biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip quand votre ligne de vie indique, et bien, l’absence de vie.
- Je dois être en train de rêver, c’est bon Kat, tu vas te pincer un coup et ça va aller, putain il faut que j’arrête les livres fantastiques et les films délirants… Aïe ! Mais qu’est-ce que … Aïe, arrêtez bon sang !
- Je vous ai pincé et vous êtes toujours là, moi aussi visiblement.
Ainsi donc, un bon quart d’heure plus tard, j’étais à nouveau dans mon salon, lumière allumée, assise aussi loin que possible de l’inconnu qui s’était laissé choir dans un fauteuil. Grand, plutôt musclé, les cheveux grisonnants alors qu’il n’était clairement pas âgé, et des yeux… heu… marrons orangés ? L’absurdité de la situation était à son comble lorsqu’il ouvrit à nouveau la bouche :
- Un café n’aurait pas été de refus…
- Dois-je vous rappeler que vous êtes un inconnu entré par effraction chez moi au beau milieu de la nuit et que vous avez fait irruption dans ma chambre ?!
Je criais plus que je ne parlais. S’il avait voulu me tuer, ça serait surement déjà fait, il m’avait même aidée à m’extirper de mes draps, je devais être maudite dans une ancienne vie pour être ridicule à ce point, même devant un criminel. J’avais même failli lui dire merci !
Il pointa un doigt en direction de ma poitrine. Je cachais ma nuisette sous un gros gilet, et croisais les bras en signe de défense. Un éclair fugace dans ses yeux suivi d’un autre fou rire plus tard, il articula « le médaillon ». Je m’empourprais comme jamais, quelle prude !
- Bon vous comptez vous expliquer un jour où vous avez prévu de vous payer ma tête toute la soirée ?
- Votre « mamie » m’a gentiment proposé de vous donner un coup de pouce, sans mauvais jeu de mots, ajouta-il en regardant mon pouce rougi par la piqûre.
- Ecoutez, ma grand-mère nous a quitté il y a de cela maintenant cinq ans, donc arrêtez votre baratin et sortez de chez moi. Un amateur verrait que ce médaillon est ancien et inventerai une histoire à dormir debout ! Je suis folle de discuter tranquillement avec un psychopathe dans mon salon au milieu de la nuit.
Je me levais, épuisée par tant de bêtise de ma part. C’est alors que j’accusais un peu le stress accumulé depuis un moment maintenant, la faute à qui… ! Mes jambes cédèrent et je basculais en avant, toujours avec la grâce qui me caractérise. Des bras puissants me rattrapèrent et je me retrouvais tout contre lui. Devrais-je préciser que son fauteuil était trop loin pour qu’il ait eu le temps de venir jusqu’à moi ? Je m’arrachais à cette étreinte en me débattant comme une furie et contre toute attente, il finit par me lâcher. Dans mon délire je n’avais pas anticipé cette éventualité et, emportée par mes propres gestes d’autodéfense, tombais contre la table basse, me heurtant la tête bien comme il faut. Des dizaines de petits monsieurs aux yeux oranges dansaient devant mes yeux, dont un me regardait étrangement, j’aurais juré entendre un juron. Puis ce fut le noir.
Bip bip bip bip bip…
Je refaisais surface, les yeux toujours fermés. Je m’attendais à me retrouver à l’hôpital, le bip de la machine cardiaque, vous vous souvenez ? Mais alors que j’osais ouvrir un œil, je reconnu ma chambre. Le réveil sonnait, bruyant, déstabilisant. L’autre œil alerte, je guettais la chambre dont le volet laissait passer quelques rayons de soleil. Personne. Je me penchais pour regarder sous le lit. Personne non plus. Je tirais le rideau du dressing. Personne. Je me passais une main sur le visage, prenant note de l’absence de piqûre sur mon pouce… Un rêve, bordel tout ça n’avait été qu’un rêve ! Il me fallut quelques secondes pour réaliser, puis me lever pour aller bosser.
En passant dans la cuisine, un élément attira mon attention. En m’approchant, je trouvais une poche de glace (pas encore fondue comme elle aurait dû l’être si je l’avais oubliée la veille) posée sur le comptoir avec une petite note où je lus :
« Pour votre tête
PS : Nous n’avons pas fini de discuter. Préparez un café pour ce soir. »
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