Il était une fois une vieille dame qui se nommait Irène. Elle avait tenu l’épicerie d’un petit village pendant des décennies. Un beau matin elle s’est éteinte comme une bougie.
La vie a coulé sur son socle ; un rocher de calcaire près des gorges du Verdon.
La cire a fondu. Irène n’est plus.
L’épicière s’est ratatinée comme une vielle pomme et l’étincelle de ses petits yeux clairs s’est envolée dans le mistral de Provence.
Irène a mis le feu aux poudres, a pris la poudre d’escampette sans demander son reste.
Il me plait à penser qu’elle dort dans du coton comme les petits santons.
Je me souviens de son tablier noué autour du cou ; large poche, fond noir, minuscules fleurs bleues et blanches.
Elle en sortait souvent un grand mouchoir pour s’essuyer les yeux.
Je me souviens aussi qu’elle parlait avec ma grand-mère ; pitchoune que j’étais, je ne participais pas à la conversation mais je la comprenais même si le provençal était difficile à prononcer.
C’étaient des sujets de grandes personnes qui étaient évoqués :
- Les estivants qui se plaignent du vent
- Le prix des stères qui augmente
- Les truffiers qui ne donnent plus rien
- Les jeunes filles qui embrassent les jeunes hommes
- La fermeture de la dernière exploitation
- Le barrage
- Le monde à l’envers
Quand on se nomme Irène à quoi peut-on bien penser en vendant des salades ?
Quelles salades peut-on inventer pour évincer la dégringolade ?
Le monde à l’envers, c’est quand tu cherches et que tu trouves !
Un beau matin les gendarmes étaient là.
Il fallut donc chercher.
Ils ont mené l’enquête.
Ce que je me suis toujours demandé, c’est pourquoi la façade a été murée.
L’épicerie transformée.
Pourquoi ?
Les secrets lancés à la cantonade dans les ruelles du village alimentaient des conciliabules évaporés.
Les vapeurs étaient douces ou acides selon la bouche qui les soufflait.
Nul ne saura jamais ce qu’Irène a enduré.
Irène c’est un souvenir de labeur, de victuailles et de senteur, un souvenir de franc parler, de sourire et de mains ridées, une voix éraillée qui un beau jour a déraillé.
Irène règne au pays des cagettes brûlées, de la lavande desséchée.
Irène est morte ; je ne cherche plus rien ; je ne trouve pas grand-chose à dire, à écrire.
Le monde à l’envers s’est brisé dans le décor qui a tant changé !
Le sens manque ; peut-être est-il le fantôme du désespoir.
La vitrine n’est plus.
Irène s’est tue.
Je me sens un peu perdue…
Le blog d'Annick SB