Dans les cuisines de la belle demeure c’est l’effervescence, Maître Sidoine s’y active et lance des ordres aux
marmitons. Du fourneau au tournebroche et de la cave au fournil s’échappent odeurs alléchantes et fumets délicats.
Pour Dame Zèbrine et ses quatre convives le dîner se veut festin car ce soir, la maitresse de maison désignera son
futur époux parmi le quatuor présent.
Le sien, trop vieil, trop délicat, l’a laissée veuve une nuit d’indigestion.
Il n’est plus question pour elle de revivre pareille situation. Le futur mari se devra d’être robuste et fine
gueule. Aussi l’élu sera-t-il le dernier gentilhomme attablé et réclamant encore un hanap bien rempli ou une assiettée de mignardises.
Marcassin ruisselant de saindoux, faisans saucés au verjus suivis de pâtés de grives à l’Armagnac et de tourtes aux
abats sont tour à tour présentés accompagnés de panais à la cardamone et de mogette aux graines de paradis. Dans les gobelets d’étain, vin et cervoise fraîche coulent à volonté.
Dame Zèbrine peu attirée par les mets salés picore dans un plat puis dans un autre, déchire d’une dent délicate un
minuscule morceau de viande, mouille ses lèvres fines de trois gouttes d’hydromel et observe ses prétendants.
Guillibert, la face rubiconde ne tarde pas à implorer la permission de se retirer. D’un geste condescendant de la
main, Dame Zèbrine lui signifie son renvoi tandis que la table se garnit de plats de brochets aux deux sauces vertes, d’anguilles au macis et de lamproies aux yeux glauques, le tout accompagné
d’une belle choucroute croquante.
A la troisième bouchée de lamproie, Sieur Giefroi pâle comme une hostie se lève de table et s’enfuit les mains sur la
bouche.
Dame Zèbrine soupire « quelle petite nature ! » Elle se tourne ensuite vers les rescapés des agapes,
Ramulf et Artaud, tous deux bels hommes à la fière prestance. Lequel sera l’élu ce tantôt ?
Les rivaux se toisent quand Dame Zébrine les prie de l’excuser un instant «…quelques ordres à donner… je ne serai pas
longue… servez-vous mes Sieurs »
- Où en sommes-nous, Maître Sidoine ? Le temps me tarde ! »
- Au dessert, gente Dame. Voyez, Gasparini, le pâtissier, termine de si belle façon la garniture de
l’assortiment de tartelettes !
Les pommettes en feu, Dame Zèbrine ouvre grands ses yeux et hume, gourmande, les délices sucrés, son péché
mignon.
- Vite, vite, Gasparini, la faim me taraude et seule la douceur de vos desserts pourra l’apaiser.
Le regard des deux derniers invités est à présent voilé par l’alcool et les gestes se font plus lestes à l’encontre
des serveuses.
- Mes Sieurs, un peu de tenue, je vous prie. L’un de vous sera sous peu mon époux et le garant de ma fortune. Les
minauderies ne sont pas de mises à cette tablée. Voici à présent le plateau de desserts. Il est fort à parier qu’il vous départagera. Bonne dégustation !
Penauds, les deux hommes choisissent l’un un sablé coloré au jus de betteraves et garni de framboises et l’autre une
croûte verte obtenue avec quelques gouttes d’écume d’épinard et ornée de myrtilles mais l’appétit n’est plus au rendez-vous et ils découpent lentement, comme à regret, leurs tartelettes.
Dame Zèbrine quant à elle se fait servir une pâtisserie aux marrons sur lit de crème d’or. Ses gestes sont vifs, les
bouchées énormes. Que c’est bon !
- Allons, mes Sieurs, du cœur à la bel ouvrage !
Et elle replonge son long cou de cygne vers son assiette, avide, le regard déjà posé sur une tartelette aux raisins
blancs imbibés d’ambroisie.
Hélas, un marron trop peu cuit et avalé goulûment en dispose autrement.
Dame Zèbrine a beau tousser, tenter de cracher, elle s’étouffe définitivement et gît là, inerte, au bas du
banc.
- Nous l’avons échappé belle, dit un galant.
- Pour fêter cela allons boire une pinte loin d’ici, propose l’autre.
Seuls Maître Sidoine, Gasparini et les marmitons se lamentent.
Pour qui cuisineront-ils demain ?
Mony