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(C’est la Saint Valentin. Deux chiens de rue, Bonnie et le Clodo se sont arrêtés devant une vitrine de luxe.)
- Attends Bonie, attends un peu, t’as vu ce que je vois ?
- Quoi encore mon Cloclo ?
- non mais tu as vu ça ! Je rêve ! Ho les bouffons, vous en vrai ou en celluloïd. (Il chante pour les narguer)
« Combien ces deux clebs dans la vitrii- neu » wouarf wouarf
Combien coûtent ces deux bouffons noirs
Et le p’tit minou qui fait des mii-neus wouarf wouarf
Parce qu’on lui pourlèche le minois »…
- allez viens le Clodo, restons pas là, on va se faire remarquer…
- non, mais tu as vu ça Bobonne, deux frères de race, des canidés comme nous, déguisés en bouffons, en muscadins des beaux quartiers. En plus, il y en a un qui fait des mignardises à un minet. Moi, j’l’aurais eu entre les pattes !
- c’est pas de leur faute. On les a peut être obligés à être là, pour la photo…
- non mais c’est insultant, honteux, ignominable ! Deux frères de race, des renois en plus, qui font les supérieurs parce qu’ils sont né chez les rupins. T’as vu comme ils nous ont regardés ! Des p’tits chéris propres sur eux, nourris à la pâtée de luxe, bien peignés, parfumés, avec le poil luisant. C’est plus des canidés, c’est des poupées Barbie.
- je crois que tu deviens jaloux Cloclo, toujours tes passions tristes…
- jaloux, moi, jaloux ! De leurs p’tits rubans roses ? Et pourquoi pas du jaune canari, comme pour les œufs de Pâques.
- allez viens le Clodo, tu vas encore te mettre en rogne et nous attirer des ennuis…
- non ! Mais tu t’rends pas compte le pognon qu’ils affichent ! T’as entendu à la Télé, le fossé qui se creuse entre les pauvres et les Nantis, les gros boursicoteurs. Pendant que nous les chiens de rue, les paumés, les bâtards, tout en bas de l’échelle…
- commence pas avec la politique, c’est la fourrière tout de suite… après tout, t’as eu ta chance toi aussi…
- qu’est ce que tu veux dire ?
- ben, cette femme à Passy, qui voulait t’adopter…
- et me mettre un collier, et une chaine ! Allez hop à la niche et t’auras ton nonos… non, mais ça va pas ! Tu te rappelles à l’école, la Fable de Lafontaine, le chien et le loup ! Il refuse d’être attaché pour un peu de pitance…
- on est pas des loups !
- non, je sais bien ! Ce sont les hommes qui sont des loups pour les humains… Mais nous on a notre fierté de canidés ! On veut bien devenir des compagnons des andropodes, ces bipèdes, mais pas leurs esclaves, leurs chiens de garde et leurs poules de luxe.
- oh, toujours tes grands mots ! Moi en tout cas, ça me ferait plutôt pleurer de voir ces pauvres bêtes enrubannées. Elles ont l’air triste…
- tu veux que je te dise ma Bonie ? Tout ça, c’est un Complot International de ceux qui tiennent les manettes. Ils veulent nous châtrer, nous stériliser, avec leurs vaccins, leurs nutriments biologiques, tout leur bazar de molécules… ils veulent nous obliger à devenir des zombies qu’on expose en vitrine.
- ça y est la Grande Conspiration ! Arrête un peu Cloclo, tu vas nous déprimer. Et je commence à avoir faim…on change de quartier ?
- tu as raison Bobonne, ma Bonie adorée, la Lady du Bitume, c’est la Saint Valentin ! On va s’aimer un peu plus loin…
(On les voit s’éloigner, lui qui claudique un peu, elle qui se serre contre lui.)
- dis, mon Cloclo, mon clochard adoré, tu m’aimes encore un peu ! Même si j’ai un peu perdu de mon pelage ?
- bien sûr ma chérie ! On est ensemble ! On fait la route ensemble !
- tout à l’heure je t’ai vu qui regardait une petite chienne. Tu es parti la renifler…
- c’est elle qui me faisait du gringue… elle remuait du popotin.
Allez, on oublie ça ! Je t’emmène au Mac Do. Parait qu’ils ont tout plein de restes, à la sortie du Drive.
Ilonat